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Un goujat sous les glycines

Dernière mise à jour : 26 sept. 2022


Je suis actuellement assise à une terrasse offrant une spectaculaire vue sur le quartier de l'Alfama à Lisbonne. Il fait beau, chaud, et je suis avec F. et nous sommes amoureux. Sur un belvédère légèrement ombragé par une plante grimpante, qui semble être un mélange entre de la glycine et de l'hortensia, nous nous observons, nous profitons de ce doux moment de vacances. La terrasse n'est pas très large, calée entre le mur végétal coloré et les gardes corps. En contrebas, un chanteur fou entonne avec passion ses mélodies. F. se lance dans un dessin des toits de la ville, il en a pour un moment. Moi, calme et détendue, j'admire la vue en sirotant mon orange pressée. Un moment de pure délectation qui regroupe tout ce que j'aime; les toits d'une ville, une vue merveilleuse, LUI et les oranges pressées.


Mais une sorte de parasite vient perturber mon moment de volupté. Un parasite sous la forme d’un être humain de sexe masculin. Une espèce malheureusement pas si rare : le gros beauf bien lourd. Il y a dans cette espèce beaucoup de sous-catégories, telles que « le gros beauf bien lourd obsédé », « le gros beauf bien lourd qui parle beaucoup trop fort en public » ou encore « le gros beauf bien lourd en marcel ». Et pour les plus malchanceux, « le gros beauf bien lourd qui regroupe toutes les sous-catégories évoquées précédemment » Je cite là les catégories les plus répandues et connues, cependant, comme nous le savons il y en a encore une quantité qui me prendrait trop de temps à énumérer. Dans ce cas de figure en revanche, nous avons à faire au « gros beauf bien lourd célibataire et égocentrique ». Ce beauf d’âge mûr se trouve probablement avec l’une de ses soupirantes, car comme il l’a si classement précisé « il n’est marié avec personne » Il lui fait donc subir (et me fait subir!) la logorrhée narcissique la plus ridicule qu’il n’a jamais été comptée sur Terre.


Pour commencer, nous avons eu droit à sa fine étude ethnologique des Européens. Il a commencé sa démonstration avec nos amis de la péninsule ibérique. Ainsi, j’ai appris que ces derniers étaient « fous-fous ». Je suis heureuse de l’apprendre, j’avais justement très envie de folie, de me marrer, je vais donc partir prochainement à Madrid, ou peut-être Barcelone. A moins qu’il ne parle de la population espagnole rurale. Dur à savoir… Je devrais l’interrompre pour en savoir davantage mais il semble si bien lancé, et ce concentré de science exacte me fascine trop pour le mettre en suspens.


Monsieur a beaucoup voyagé semble-t-il, il a pu ainsi nous faire partager une autre de ses fines analyses sur les italiens. Des gros cons semblerait-il. Et pour les français, conclusion de son exposé, ils rassembleraient toutes les tares du monde. Dommage pour nous.


Je pourrais mettre en péril sa thèse en lui expliquant qu’il existe des beaufs comme lui dans tous les pays du monde, mais je m’en voudrais de le décrédibiliser devant sa belle qui semble boire ses paroles. Celle-ci n’ayant pas parlé pendant dix minutes, elle s’est tout de même risquée à poser une question à son amour de science infuse. Désirant certainement en apprendre plus sur d’autres nations elle se susurre un timide: « Et le Brésil ? »


Il ne lui en faut pas plus, le voilà reparti dans une autre démonstration scientifique. Cependant il a un problème, il aimerait parler des brésiliens et surtout des brésiliennes mais Monsieur n’a pas mis un pied au Brésil. Heureusement pour lui il est actuellement au Portugal : « Le Brésil il est là, le Brésil on y est ! » Monsieur a réponse à tout.


« Peut-être que j’irai au Brésil avec Erika »


Je manque d’avaler de travers mon orange pressée. Sa classe n’a pas d’égale, quel gentleman. Parler de ses autres conquêtes devant cette muette demoiselle requiert d’une dose de beaufitude très élevée et d’un soupçon de machisme. Et le voilà qui rajoute « Il faudrait ton cerveau dans le corps d’E…. » il finit sa phrase en rigolant. Traduction : si seulement ton cerveau était dans le corps d’Erika (boudin!) Je crois sentir mes yeux sortir de leurs orbites, je ne savais pas qu’il était possible sérieusement de dire une chose pareille. Je prie silencieusement pour qu’il arrête enfin de parler, malheureusement il a encore beaucoup de choses à dire.


Je regarde le chanteur au masque de Pikachu fait maison en contrebas, le suppliant du regard de chanter plus fort. De faire un tel boucan que je ne pourrai plus entendre cette énergumène débiter ces flots de conneries. Malheureusement ce Pokemon évolué n’a pas ce pouvoir là. Je vais devoir subir et souffrir en silence.


Le voilà qui repart sur son domaine d’expertise, je vous le donne en mille : l’ethnologie bien sûr ! Cette fois-ci il cible plus, je crois qu’il parle uniquement du peuple français. Puis l’impensable se produit, sa patiente copine jusqu’à présent silencieuse prend la parole. Elle veut parler d’elle. Je suis étonnée qu’il lui laisse un si long temps de parole. Elle raconte ce qui l’ennuie prodigieusement chez certaines personnes (elle doit probablement parler de français, les espagnols sont si sympas) Temps de pause. Silence. Doux moment.


« J’aime pas Paris, je n’aimerai pas à y vivre »


CLAP CLAP CLAP


J’applaudis au fond de moi, je lui décerne l’oscar de la meilleure réponse qui n’a rien à voir avec les dires de l’interlocuteur. Belle performance du je-n’écoute-rien-à-ce-que-tu-dis-car-je-sais-déjà-ce-que-je-vais-dire-quand-tu-auras-enfin-fermé-ta-bouche.


« Je n’ai pas besoin d’être sur la Seine… » et le voilà qui continue ! Je ne sais pas comment me situer, il me désespère et en même temps me fait rire.


Le « beauf bien lourd célibataire et égocentrique » va clore son discours sur une révélation très intime. Au cas ou sa belle tomberait amoureuse, il préfère lui rappeler (presque) subtilement la condition des relations qu’il entretient avec les femmes. Monsieur aime sa vie de célibataire, il aime faire sa petite vie seul, il a son appartement, ses bateaux, tout va bien pour lui. C’est sur cette révélation si inattendue (je plaisante évidement) qu’ils décident de mettre le cap sur un autre lieu laissant place à un nouveau couple espagnol beaucoup plus discret et beaucoup moins bavard, qui n’avait pas l’air franchement très fou-fou (sa théorie serait donc bidon?!)


Adeus goujat de mes vacances, et merci pour toute l’inspiration que tu as réveillée en moi. Grâce à toi je me rends compte de la chance que j’ai de partager ma vie avec quelqu’un qui est ton strict opposé. Quant à toi Erika, bon voyage au Brésil !




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